Still life
4 juillet 2020 Le portrait tient son autorité de sa façon d’habiter l’espace, de surgir de l’ombre paré de toute la lumière du monde. Même parfaitement anachronique, il sort du cadre et bascule, le temps d’un regard, dans l’ici et maintenant du spectateur pour le compromettre, comme le furent les surréalistes, amoureux de Madame de Senonnes, l’Ingres des galeries du musée de Nantes.
En la matière, la photographie paraît plus convaincante que la peinture. Dès son invention, c’est par le portrait qu'elle la supplante irrémédiablement tant ce genre, reputé mineur à l’âge classique, paraît privilégier la seule ressemblance. De Nadar à l’identité judiciaire ou “facebook”, l’efficacité photographique du portrait ne cesse de faire ses preuves même quand l’enfant d’aujourd’hui est paré d’un col à godrons qui évoque le XVIIème siècle. Cette victoire de la photographie n'est probablement qu'un juste retour des choses. L’icône réhaussée d’or et d’argent a pour origine le Mandylion d’Edesse, une sorte de photographie au sens éthymologique du terme où l’image du Christ fut produite, non par le peintre envoyé tout exprés, qui s’était retrouvé incapable de faire son travail tant il était ébloui par son modèle, mais par l’application d’un linge sur lequel s’imprima l’insaisissable visage.
Plus prosaïquement, avec sa capacité d’être reproduit à l’infini, le portrait photographique, quand il s’applique aux stars médiatiques, retrouve l’usage que l’on faisait de l’effigie du tyran qui, depuis la plus haute antiquité, servait à frapper monnaie comme ses bustes bornaient son territoire. Par chance, l’anonymat du sujet photographié, un unique qui s’empare de toute l’image, permet d’échapper à de telles généalogies pour offrir à la délectation la saveur d’une présence de l’unique où l’œuvre d’art puise une bonne part de sa valeur.
Plus encore, les portraits proposés par Nicolas Wilmouth s’arrogent le droit de se référer explicitement au siècle de Spinoza et de la Logique de Port Royal quand les nocturnes tirent le reel de l’ombre pour en faire la plus flagrante des apparitions. Après Caravage et sa cohorte profane où se reconnaît l’homme du commun, La Tour, quand la flamme d’une bougie troue l’obscurité d’un halo de clarté pour que l’obscurantisme d’un monde à feu et à sang retrouve visage humain, Frans Hals , recordman du portrait, réconcilie lumière et matière dans une même touche virtuose dont l’audace fulgurante saisit le vif dans l’instant d’un éclat étincelant de couleurs auxquelles il substituera dans ses œuvres ultimes, une déclinaison infinie de noirs en guise de leçons de ténèbres.
Ce qui finit de nouer la complicité de Nicolas Wilmouth avec le XVIIème siècle, c’est l’entrée de l’enfant dans le tableau. Ni enfant Jésus ou petit amour joufflu d’une farandole de putti, il apparaît pour lui-même, un être à part entière. De sang royal, il circule de cour en cour au gré des exigences géopolitiques et des mariages. Simple rejeton de bonne famille, il ne garde du faste des Infantes de Velazquez engoncées dans leurs atours que ces fraises et collerettes qui circulent alors entre les âges et les sexes, les appartenances religieuses ou nationales et qui traversent aussi les différentes catégories sociales quand il s'agit d'endosser ses habits du dimanche.
L’accessoire est décisif. Il éclaire le visage à la manière flatteuse d’une rampe de théâtre et installe le portrait dans un dispositif scénographique d’une efficacité d’autant plus troublante que Nicolas Wilmouth a choisi de confectionner ses fraises en papier. La référence préfére ce rien d’ironie à la simple révérence convenue. Ajouté à un savant maquillage qui ne craint pas l’excés et à la palette des textures qu’exalte une rare maîtrise de la lumière sur sa gamme la plus large, de la nuit au plein soleil, l’ornement vestimentaire apparaît comme le point d’orgue immaculé autour duquel rigueur et fragilité se livrent bataille. Se déploie ainsi une stratégie du portrait d’enfant qui devient le point focal de multiples temporalités saisies dans l’instant d’un déclic où sont convoqués toutes sortes de bribes de l’histoire du portrait, des plus ténues aux plus manifestes, mais aussi et surtout, cette inquiétante étrangeté qui hante l’enfance autant que le temps de l’art, où se ménagent d'équivoques entre-deux, qui serait un hypothétique, futur antérieur. A l’évidence de ces portraits claironnants se superpose une foule d’énigmes. De quoi retenir l’attention, intensifier l’individuation et renverser par la grâce de la volonté d’être, l’artifice qui nimbent ces icônes bien vivantes, radicalement incomparables tant elles affichent leurs singularités, forgées d’un éclair dans le feu du discernement le plus affuté. Dans le champ des émotions mêlées, elles surgissent avec l’insolence tranchante d’un regard sans concession qui fascine le notre.
Jean-Louis Pradel Août 2012
En la matière, la photographie paraît plus convaincante que la peinture. Dès son invention, c’est par le portrait qu'elle la supplante irrémédiablement tant ce genre, reputé mineur à l’âge classique, paraît privilégier la seule ressemblance. De Nadar à l’identité judiciaire ou “facebook”, l’efficacité photographique du portrait ne cesse de faire ses preuves même quand l’enfant d’aujourd’hui est paré d’un col à godrons qui évoque le XVIIème siècle. Cette victoire de la photographie n'est probablement qu'un juste retour des choses. L’icône réhaussée d’or et d’argent a pour origine le Mandylion d’Edesse, une sorte de photographie au sens éthymologique du terme où l’image du Christ fut produite, non par le peintre envoyé tout exprés, qui s’était retrouvé incapable de faire son travail tant il était ébloui par son modèle, mais par l’application d’un linge sur lequel s’imprima l’insaisissable visage.
Plus prosaïquement, avec sa capacité d’être reproduit à l’infini, le portrait photographique, quand il s’applique aux stars médiatiques, retrouve l’usage que l’on faisait de l’effigie du tyran qui, depuis la plus haute antiquité, servait à frapper monnaie comme ses bustes bornaient son territoire. Par chance, l’anonymat du sujet photographié, un unique qui s’empare de toute l’image, permet d’échapper à de telles généalogies pour offrir à la délectation la saveur d’une présence de l’unique où l’œuvre d’art puise une bonne part de sa valeur.
Plus encore, les portraits proposés par Nicolas Wilmouth s’arrogent le droit de se référer explicitement au siècle de Spinoza et de la Logique de Port Royal quand les nocturnes tirent le reel de l’ombre pour en faire la plus flagrante des apparitions. Après Caravage et sa cohorte profane où se reconnaît l’homme du commun, La Tour, quand la flamme d’une bougie troue l’obscurité d’un halo de clarté pour que l’obscurantisme d’un monde à feu et à sang retrouve visage humain, Frans Hals , recordman du portrait, réconcilie lumière et matière dans une même touche virtuose dont l’audace fulgurante saisit le vif dans l’instant d’un éclat étincelant de couleurs auxquelles il substituera dans ses œuvres ultimes, une déclinaison infinie de noirs en guise de leçons de ténèbres.
Ce qui finit de nouer la complicité de Nicolas Wilmouth avec le XVIIème siècle, c’est l’entrée de l’enfant dans le tableau. Ni enfant Jésus ou petit amour joufflu d’une farandole de putti, il apparaît pour lui-même, un être à part entière. De sang royal, il circule de cour en cour au gré des exigences géopolitiques et des mariages. Simple rejeton de bonne famille, il ne garde du faste des Infantes de Velazquez engoncées dans leurs atours que ces fraises et collerettes qui circulent alors entre les âges et les sexes, les appartenances religieuses ou nationales et qui traversent aussi les différentes catégories sociales quand il s'agit d'endosser ses habits du dimanche.
L’accessoire est décisif. Il éclaire le visage à la manière flatteuse d’une rampe de théâtre et installe le portrait dans un dispositif scénographique d’une efficacité d’autant plus troublante que Nicolas Wilmouth a choisi de confectionner ses fraises en papier. La référence préfére ce rien d’ironie à la simple révérence convenue. Ajouté à un savant maquillage qui ne craint pas l’excés et à la palette des textures qu’exalte une rare maîtrise de la lumière sur sa gamme la plus large, de la nuit au plein soleil, l’ornement vestimentaire apparaît comme le point d’orgue immaculé autour duquel rigueur et fragilité se livrent bataille. Se déploie ainsi une stratégie du portrait d’enfant qui devient le point focal de multiples temporalités saisies dans l’instant d’un déclic où sont convoqués toutes sortes de bribes de l’histoire du portrait, des plus ténues aux plus manifestes, mais aussi et surtout, cette inquiétante étrangeté qui hante l’enfance autant que le temps de l’art, où se ménagent d'équivoques entre-deux, qui serait un hypothétique, futur antérieur. A l’évidence de ces portraits claironnants se superpose une foule d’énigmes. De quoi retenir l’attention, intensifier l’individuation et renverser par la grâce de la volonté d’être, l’artifice qui nimbent ces icônes bien vivantes, radicalement incomparables tant elles affichent leurs singularités, forgées d’un éclair dans le feu du discernement le plus affuté. Dans le champ des émotions mêlées, elles surgissent avec l’insolence tranchante d’un regard sans concession qui fascine le notre.
Jean-Louis Pradel Août 2012